Le dojo de l’enfer…
Le cours du mercredi midi c’est un cours qui était dans notre perception de l’aïkido depuis de très nombreuses années. En effet ce cours est un entrainement basé sur l’acceptation de tous, de la liberté de l’autre à exécuter sur le tapis tout ce qui lui passe dans la tête et le corps. Il n’y a qu’une règle : « on ne se plaint pas. »Cela nous était venu en pensée à la suite de deux postulats que nous avions entendus dire. Le premier est : « qu’autrefois le dojo de O Sensei était appelé : le dojo de l’enfer. » Pour nous d’expression catholique, cela avait une connotation de punition et d’extrême souffrance. Et surtout personne n’était revenu de cet enfer que la bible nous a décrit comme un endroit où le feu brulait sans cesse tous ceux qui n’avait pas eu une attitude juste envers les autres. Le dojo de l’enfer, on devait y souffrir terriblement. Et quand la première fois nous sommes entrés dans ce dojo nous avions en tête ce dicton : dojo de l’enfer cela serait terrible. Allions nous ressortir ce cet endroit en vie ? Puis le cours sous la direction de Ueshiba Kishomaru (le second doshu) se passa très bien l’enfer ce n’était pas si terrible que cela. Mais une fois fini, en parlant avec des élèves ils m’ont dit que d’autres cours étaient plus durs que celui-ci. Alors il nous a fallu faire tous les cours du Honbu dojo pour savoir si « l’enfer » existait. En fait les cours étaient plus ou moins égaux entre eux. L’enfer, c’étaient les différents partenaires avec qui nous nous entrainions. Nous nous rappelons du premier uchi deshi avec qui nous avons pratiqué. Nous en avions entendu parler par les français qui, eux, étaient revenus vivants de cet endroit. Ce fut un expérience riche en émotion car il nous a fallu rapidement apprendre à nous protéger, ressentant parfaitement le désir de ce partenaire de nous briser pour prouver sa supériorité. Mais nous avions bien été préparé et la séance se termina sans traumatisme. Nous avons ensuite beaucoup travaillé avec cet homme qui au fil de nos rencontres, s’est amadoué et même si nous devions être sans arrêt vigilent nous avons beaucoup appris sur ce que : « s’engager » veut dire.
Le second postulat nous est venu d’un pratiquant français qui vivait à Tokyo depuis une dizaine d’années et qui voulant revenir chez lui nous avait dit : « Moi je ne voudrais qu’une vingtaine d’élèves et pouvoir m’entrainer comme ici à Tokyo ». Cela m’avait beaucoup interpelé car c’est vrai l’entrainement au hon bu dojo et assez simple. Le professeur montre une technique quatre ou cinq fois et ensuite les élèves travaillent sans s’arrêter et surtout sans se parler. Tout au moins entre japonais et étranger. Nous avions trouvé à l’époque cette réflexion juste. Le seul problème était que pour avoir vingt pratiquants qui travaillent comme au hon bu dojo, il faut avoir trente années d’ancienneté et surtout avoir eu au minimum une centaine d’élèves pour qu’il n’en reste que vingt travaillant selon le désir intime du professeur.
Mais ces deux pensées nous sont restées toujours en mémoire et nous avons décidé de lancer ce cours pour essayer de reproduire à St Étienne ce que nous avions appris à Tokyo.
Mercredi midi à St Etienne
Ce cours pour nous est très important car c’est le seul moyen que nous avons trouvé pour enlever le côté perfection que réclame un cours technique et le côté silencieux difficile à instaurer dans un cours normal. Ici il est interdit de se corriger verbalement. Il n’y a pas de limite, tout peut être envisagé et entrepris à la seule condition que le partenaire ne soit pas blessé aussi bien moralement que physiquement.
Nous, personnellement, nous travaillons autant que les élèves : nous faisons aussi bien uke que tori car dans notre conception de la pratique l’enseignement n’est pas seulement de démontrer au milieu du tapis des techniques mais aussi de faire passer avec le corps ce que nos mots ont voulu expliquer.
Nous sommes arrivés à un stade de l’entrainement ou pendant une heure chacun s’exprime sur une technique démontrée au milieu, mais avec la possibilité de la faire évoluer à sa façon. Prenons un exemple : sur shomen uchi comme attaque et kote gaeshi comme réponse : chacun a la possibilité de rester sur ce principe ou de faire évoluer la technique par des contre-prises, enchainer au sol pour expérimenter le corps à corps, parfois faire un peu de karate si l’opportunité s’en fait sentir. La plus grande difficulté fut d’amener les élèves à ne pas sortir trop vite du cadre de la pratique habituelle.
Cela nous a permis, car nous pratiquons avec eux comme si nous étions élèves, de faire ressentir à nos différents partenaires ce que nous avons dit avec les mots dans les autres cours. C’est aussi un bon moyen pour établir une hiérarchie faire comprendre aux élèves la valeur d’un grade. Car le grade n’est pas qu’une expression technique mais aussi le sens de l’engagement de gout de l’effort et l’envie surtout de partager avec l’autre sa propre connaissance.
Avantages de ce types de cours
Ce cours est un vrai bain de jouvence car il nous sort des sentiers battus et surtout permet d’enlever un peu la frustration que l’on peut ressentir quand dans un cours, dit normal , nous devons être un peu en dedans. Ce cours nous permet de changer un peu les sacrosaintes règles de « bonne conduite ». Ceux qui viennent à ce cours au début sont un peu surpris mais une fois les premiers moments d’incertitude et d’incompréhension, tous reviennent en demandent encore plus. Un autre avantage de ce cours : cela apprend aux élèves à travailler sans attendre d’être corrigée par le professeur. On vient sur le tapis pour pratiquer sans retenue tout en respectant l’état de fatigue te le niveau de chacun. Et cela sans un mot. Que c’est agréable.
Philippe Gouttard