Quelle différence y a-t-il entre déséquilibre et déstabilisation ? Nous sommes arrivés à différencier ces deux mots : le déséquilibre serait plutôt un problème d’ordre corporel et la déstabilisation plutôt d’ordre psychologique.
Il est bien évident que nous ne voulons pas émettre de certitude car nous pourrions disserter pendant des heures sur ces deux mots. Nous n’avons voulu qu’exprimer ce que nous ressentions pendant la pratique.
Nous sommes déséquilibré au cours d’un mouvement et déstabilisé par l’attitude d’un partenaire ou d’un enseignement surprenant provenant d’un professeur que nous voyons pour la première fois.
Déséquilibre c’est un état que nous subissons ou que nous acceptons et que nous ressentons corporellement alors que déstabilisation est un phénomène que nous vivons intellectuellement.
Nous avons commencé la pratique avec une réflexion sur le taï sabaki, qui est la base des bases de notre art. C’est le travail des appuis et, pour savoir ce qu’équilibre veut dire – et par la même déséquilibre – il nous faut savoir exactement ce que font nos pieds quand nous exécutons ce mouvement.
Au départ il est important de faire un pas le plus grand possible pour mettre en action la hanche correspondante et, une fois celui-ci fait, il nous faut pivoter sur ce pied en relâchant la cheville, le genou, et la hanche et bien se concentrer pour que la pose du pied se fasse par la flexion de la jambe d’appui et non par un transfert du buste sur l’arrière.
Puis nous avons poursuivi par une réflexion sur les chutes. Il est important en premier lieu de faire la différence entre chute et projection.
Chute pour nous est un acte que nous subissons seul et qui implique une verticalité.
Être projeté est un acte que nous subissons aussi mais qui implique un point d’appui qui pour nous est un partenaire. Ceci implique une direction qui n’est plus verticale mais plus ou moins oblique.
Pour se réceptionner après une projection nous effectuons une roulade soit en avant soit en arrière.
Au sujet de ces termes chute avant et chute arrière, il nous semble qu’il vaut mieux dire chute « en avant » et chute « en arrière » car lorsque nous employons le terme chute avant, le débutant ne sait pas si avant est un terme spatial ou temporel. Chute avant, avant quoi ? Avant la douleur bien sûr.
Donc c’est une chute en avant ou en arrière, après avoir été projeté dans une direction vers l’avant ou vers l’arrière.
De même nous pensons qu’il ne faut pas dire aux débutants : « je vais vous apprendre à chuter ».
Ceux-ci sont déjà tombés. Il vaut mieux dire : « je vais vous apprendre à vous relever ». Si on est bien après s’être relevé cela veut dire que nous avons su appréhender la projection et maîtriser la roulade qui en découle.
Nous avons ensuite pratiqué avec des exercices tels que : shiho nage, irimi nage, ikkyo. Au travers de ces exercices il nous est apparu que le déséquilibre n’est jamais l’oeuvre de Tori mais plutôt dans le fait que uke, en s’investissant dans l’action, accepte de perdre l’équilibre pour donner à tori la sensation de faire sa technique
En faisant sa technique, Tori augmente le déséquilibre de Uke. Celui-ci, par un travail de balancier et de relâchement pourra retrouver son équilibre. Si le déséquilibre par rapport au niveau des deux protagonistes, à leur vitesse, aux qualités physiques et techniques de chacun, est trop important, nous arrivons à un stade dit « d’équilibre instable » : impossibilité de revenir au point de stabilité, la chute devient donc inévitable. Pour retrouver son équilibre, il nous faut alors en tant que Uke aller encore plus dans ce déséquilibre et accepter la projection ou l’immobilisation en effectuant un roulade soit en avant soit en arrière ou encore contrôler l’arrivée au sol sur le ventre.
L’après midi nous avons débuté le cours par une réflexion sur les différences d’attitude de Tori sur Uke lors de katate dori Kote gaeshi d’une part, et lors de shomen uchi Kote gaeshi d’autre part.
Dans la première pratique sur katate dori, il y a un contact très fort, très important avec la paume de main enveloppant le poignet de Tori. Il y a donc un léger arrêt. Puis Tori se dégage et pour nous il n’est pas nécessaire de baisser le bras de Uke jusqu’en bas car la direction de la force est horizontale.
En revanche, dans shomen uchi, la force est verticale, le contact est plus subtil et l’arrêt n’est pas aussi prononcé. Il y a donc dans ces deux techniques un déséquilibre qui ne s’exprime pas de la même façon.
Sur katate dori le déséquilibre est d’abord dans le décentrement de la main de Uke par rapport à ses appuis pédestres puis, lors de la projection, relativement verticale. Dans shomen uchi, on a un déséquilibre d’abord vertical afin de maintenir la direction donnée par uke, puis une ouverture du corps de uke, et enfin une projection qui, pour nous, n’est pas aussi verticale que dans la première forme.
Nous avons aussi évoqué le fait que plus uke est déséquilibré moins il est mobile. Nous sommes arrivés à la conclusion que Tori devait être le plus bas possible tout en restant mobile alors que uke doit toujours rester le plus haut possible afin de rester offensif et apte à ressentir les impulsions données par tori.
En conclusion, nous avons dit que l’acceptation du déséquilibre par uke était la condition requise pour qu’il y ait échange entre les deux partenaires. Uke, lorsqu’il attaque, n’est certes jamais surpris, mais ne doit jamais refuser le déséquilibre, acceptant même d’augmenter celui-ci pour pouvoir apprendre et vaincre la peur de la défaite. Pour Tori il lui faut au travers du contact laisser aller le corps de Uke au maximum de ses possibilités pour que ce dernier se mouvant naturellement ne se retrouve pas dans des positions impossibles donc empêchant la suite de la pratique.
En résumé le déséquilibre est indispensable à notre art. Il faut que chaque partenaire l’accepte pour que l’autre puisse s’exprimer. Mais une fois le déséquilibre accepté, il ne faut pas que Tori mette Uke dans l’impossibilité de se déplacer. Au contraire, il doit l’entraîner et l’accompagner jusqu’à la chute ou l’immobilisation selon les directions.
Sans acceptation du déséquilibre : aucun plaisir, que des frustrations.
Philippe Gouttard